Toute personne connaissant la Nouvelle-Orléans connaît la légende de la reine vaudou Marie Laveau. Bien que le propre héritage de Laveau soit formidable, elle faisait partie d’une pratique beaucoup plus large de folklores spirituels dont les racines remontent aux rituels tribaux ancestraux des Africains de l’Ouest, principalement le peuple Fon du Bénin, qui est venu sur ces rivages via le commerce des esclaves. (1) Le nombre même de Fon réduits en esclavage, qui ont également été amenés dans les colonies françaises des Caraïbes, a assuré que beaucoup de leurs traditions ouest-africaines ont survécu au voyage vers les Amériques.
Une des raisons de la force continue de la tradition ouest-africaine en Louisiane est liée à la prédominance des influences françaises et catholiques sur les esclavagistes de cette région. Alors que dans les régions plus septentrionales du Sud américain où l’esclavage était pratiqué, il était courant de mêler des esclaves de plusieurs lieux d’origine, et aussi de briser les familles et de vendre les membres dans des plantations éloignées, en Louisiane, les familles d’esclaves avaient beaucoup plus de chances de rester au moins un peu intactes, préservant ainsi leurs pratiques culturelles. Un autre aspect de la culture ouest-africaine qui a fortement influencé la longévité et la puissance du vaudou de Louisiane est la vénération des anciens et des ancêtres. Une riche tradition d’histoire orale garantissait que les pratiques vaudoues étaient transmises de génération en génération.
Le melting pot gris-gris
Le vaudou tel que nous le connaissons aujourd’hui a évolué au fur et à mesure que les esclaves se mêlaient aux peuples français, espagnols et créoles de Louisiane. Au fur et à mesure que les cultures fusionnaient dans ce qu’on a appelé la “créolisation” de la région, les traditions de toutes ces cultures ont été incorporées au vaudou louisianais.(2) La pratique consistant à fabriquer et à porter des charmes et des amulettes pour se protéger et se soigner – ou dans le but de causer du tort à ses ennemis – a fusionné les médecines populaires tribales avec des aspects de l’église catholique, comme l’utilisation cérémonielle de l’eau bénite, des bougies, de l’encens et même des crucifix.
Au début de la Révolution haïtienne (1791-1894), la Nouvelle-Orléans fut inondée d’esclaves en fuite, de créoles et de “petits blancs” (blancs de la classe marchande) fuyant le conflit.(3) En 1809, l’afflux de réfugiés doubla presque la population de la ville, ce qui servit à renforcer encore plus les traditions vaudoues.
Les reines et les rois vaudous, tels que Marie Laveau et le Docteur John (alias Bayou John ou Prince John) exerçaient une grande influence non seulement sur leurs propres communautés, mais aussi sur l’ensemble des citoyens de la Nouvelle-Orléans. Les femmes d’origine africaine et créole sont devenues les personnes les plus influentes de leur époque. Leurs pouvoirs étaient à la fois vénérés et craints dans toutes les strates de la société de la Nouvelle-Orléans, des esclaves les plus pauvres aux propriétaires terriens et aux marchands les plus riches.
La tradition continue
Les cérémonies rituelles des reines vaudoues pouvaient attirer des foules qui se comptaient par milliers. Le rite le plus célèbre, qui transpire chaque année la veille de la Saint-Jean, jouit d’une popularité continue encore aujourd’hui, et est considéré comme le jour saint le plus important du calendrier vaudou.
Le 23 juin est la veille de la célébration précédant la fête de la Saint-Jean-Baptiste. Jean Baptiste, qui serait né six mois avant Jésus, a une fête qui est l’une des rares à commémorer la naissance, plutôt que la mort, du saint honoré. La date coïncide aussi étroitement avec le solstice de juin, ou veille de la Saint-Jean, et comme pour la veille de Noël, elle est plus étroitement liée en date au calendrier païen qu’au calendrier chrétien.
Des baptêmes rituels vaudous sont pratiqués chaque année sur les rives du Bayou Saint-Jean cette nuit-là depuis l’époque de Marie Laveau, et chaque année sur l’île de Salvation Botanica, une cérémonie de lavage de tête de la veille de la Saint-Jean est organisée en son honneur. Pendant la “lave tète”, les participants vêtus de blanc et portant un foulard blanc sont “baptisés” dans la foi vaudou. On leur demande également d’apporter des offrandes de baptême en l’honneur de Marie qui sont censées assurer la promesse d’une année à venir saine et prospère, et qui peuvent aller de la nourriture aux ornements de cheveux en passant par les fleurs, les bougies, les chapelets et les sacs de gris-gris.
Une autre tradition louisianaise qui se déroule à cette période de l’année est la fabrication de “l’eau de Saint-Jean-Baptiste”. La coutume veut que le jour de la fête, le 24 juin, les croyants remplissent une bouteille d’eau de rivière tout en récitant la prière du Seigneur (les natifs de la Nouvelle-Orléans ne jurent que par l’eau du Bayou St. John), qui aurait le pouvoir d’empêcher les indésirables de franchir votre seuil.
Pour que le charme opère, la bouteille doit être posée sur le côté, le haut pointant vers la porte d’entrée. Lorsque des visiteurs indésirables – comme la police, votre propriétaire ou votre méchant ex – se présentent, vous devez appeler à haute voix les esprits de Saint-Jean et de Marie Laveau à intercéder en votre faveur. Pendant que vous prononcez l’incantation, vous devez faire rouler la bouteille avec votre pied en direction de la porte. Une fois que vos invités indésirables sont partis, faites-la rouler jusqu’à l’endroit où elle se trouvait (toujours avec votre pied). On dit que cette bouteille conserve sa puissance pendant une année entière, et qu’elle n’a besoin d’être réapprovisionnée que lors de la fête de la Saint-Jean suivante.
Le vaudou exerce sa magie depuis des centaines d’années. Bien qu’il ait pu tomber en désuétude pour certains adeptes avec l’avènement du XXe siècle, comme une chose vivante, la foi a continué à évoluer et à s’adapter à l’évolution du zeitgeist culturel du Sud profond. De nombreuses traditions du vaudou ont refait surface et regagné en popularité, trouvant à nouveau une place honorée et spéciale dans le tissu spirituel de la Louisiane.
Dernière modification le 17 août 2021